Pour lutter contre les violences, il n’existe pas de programme miracle mais une multitude de mesures. Pédagogue, membre de la Ciivise, Défenseur des enfants, magistrate ou victime nous livrent leurs idées pour mieux protéger les enfants.

« Oser poser des questions »

CÉLINE GRÉCO, victime de violences intrafamiliales dans l’enfance, médecin et présidente de l’association IM’PACTES

Pour protéger les enfants, il faudrait former tous les professionnels qui travaillent à leur contact à ce qu’est la maltraitance, aux facteurs de risques et au repérage. Beaucoup croient encore que les violences sont cantonnées aux milieux défavorisés. En réalité, elles peuvent toucher toutes les familles. J’ai subi des violences de mon père, directeur d’usine, jusqu’à mes 14 ans, jusqu’à ce qu’une infirmière scolaire intervienne et me sauve la vie. 

L’autre problème consiste à faire reposer sur les enfants la nécessité de parler. Cela revient à dédouaner les adultes de leurs responsabilités. Quand on est confronté à des signaux inquiétants – un enfant qui s’endort en classe, mange comme dix à la cantine ou au contraire ne mange plus, multiplie les absences en cours, etc. – il faut poser des questions. Les gens craignent souvent d’être intrusifs, assimilant le signalement à la délation : le principe de précaution s’applique alors aux parents et pas aux enfants. 

« Accompagner les parents en difficulté »

ALICE GRUNENWALD, juge des enfants, présidente de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille

Beaucoup de familles se retrouvent en protection de l’enfance faute d’avoir été suffisamment aidées en amont. Des enfants ne bénéficient pas de soins ou de diagnostics en temps et en heure, par manque de moyens ou d’informations. Des élèves en situation de handicap attendent ainsi des années une place en institution spécialisée. 

De la même façon, de nombreuses mesures prévues dans le cadre des 1000 premiers jours de l’enfant ne sont pas mises en place partout. Il faudrait évaluer et accompagner plus précocement les parents en difficulté, multiplier les places en crèche sociale, les relais pour les familles isolées pu monoparentales et les ateliers de parentalité. Car la science a beau avoir prouvé combien les violences éducatives nuisaient au développement des enfants, beaucoup considèrent encore qu’une fessée de temps en temps ne fait pas de mal.

« Instruire pour faire réfléchir »

FRANK BURBAGE, Inspecteur général en philosophie, membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

En France, un enfant sur dix subit des violences sexuelles. Dans 85% des cas, les abus se déroulent dans le cadre familial. Pour contribuer à les prévenir, l’école doit instruire, aider les élèves à réfléchir et à prendre la parole. C’est l’objectif du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, mis en œuvre cette rentrée. Dès la maternelle, progressivement, il faut apprendre aux enfants à nommer précisément les parties de leur corps, à repérer ce qui est normal ou non, à comprendre ce qu’est une relation d’amour ou d’amitié authentique. De nombreuses disciplines scolaires peuvent y contribuer. 

Les parents ont aussi un rôle à jouer. Ils doivent rappeler la prohibition de l’inceste, accompagner l’apprentissage d’une pudeur bien ajustée, sensibiliser aux dangers des réseaux sociaux. Nous devons instaurer collectivement une culture de la vigilance. 

« Prendre en compte la parole des enfants »

ÉRIC DELEMAR, Défenseur des enfants

Avec Claire Hédon, la Défenseure des droits dont je suis l’adjoint, notre rôle est de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à être entendu, deux principes écrits dans la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Les mineurs disposent des mêmes droits humains que les adultes. Être plus fort, avoir le pouvoir, n’autorise pas à les humilier où à leur imposer n’importe quoi. L’interdiction des violences éducatives dites « ordinaires », inscrites au Code civil depuis 2019, devrait figuer dans les codes de l’éducation, de la santé, de l’action sociale et de la famille. 

« Les adultes doivent montrer l'exemple »

ÉRIC DEBARBIEUX, pédagogue, spécialiste des violences à l’école et auteur de Zéro Pointé ? Une histoire politique de la violence à l’école (Les liens qui libèrent, 2025)

En France, beaucoup de mesures contre les violences à l’école sont ciblées dans le second degré. Il faudrait traiter le problème bien en amont, dès le primaire, et à l’échelle de tout l’établissement. Pour lutter contre le harcèlement, par exemple, le personnel doit agir en classe mais aussi en cours de récréation, avec les parents comme avec les élèves plus âgés.

Les adultes doivent surtout montrer l’exemple : accueillir les élèves qui ont des troubles du comportement, éviter les punitions, notamment celles interdites, comme envoyer au coin – un des principaux risques de violences à l’école vient du sentiment d’injustice – et faire équipe, coopérer… Dans un monde où monte le rejet de l’autre, c’est un problème politique qui dépasse l’école.

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