
Décryptage : faut-il faire de longues études ?
En clair, faut-il faire de longues études ? – Oui, si ces longues études correspondent à un projet personnel solide, à une appétence réelle pour une discipline, ou à un métier qui l’exige. Non, si elles sont choisies par défaut, sous la pression sociale. Le diplôme garde de la valeur, mais il n’a plus le monopole de l’avenir. Il est temps de le penser comme un levier — parmi d’autres — dans un parcours plus personnalisé, et surtout plus aligné avec les aspirations des jeunes.
Le master a toujours de la valeur
Le constat est connu : l’insertion des jeunes est complexe, malgré le niveau de diplôme. Selon une étude publiée en 2018 par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), la part de jeunes déclassés — c’est-à-dire occupant un emploi en dessous de leur niveau de qualification — est passée de 11 % pour la génération 1992 à 17 % pour celle de 2010,. Elle reste, aujourd’hui, en « légère augmentation », d’après son président, Jean-François Giret. Ce déclassement concerne surtout les diplômés de licence au master 1. Dans le cadre d’un cursus universitaire, des études à bac+5 seraient donc indispensables.
«Le diplôme est une protection en période de mauvaise conjoncture économique : plus on a de diplômes, plus on évite le chômage », tranche Jean-François Giret. Car il a une haute valeur symbolique, en France. Dans certains milieux professionnels, il fonctionnerait même comme un « halo de représentation » qui inspire confiance, sans qu’il soit forcément « indexé sur des compétences », analyse la sociologue Marie-Duru Bellat dans un article pour The Conversation.
Les grandes écoles sortent ainsi gagnantes de ce traditionnel élitisme. Leurs étudiants sont certifiés parce qu’ils ont suivi un parcours sélectif. Ainsi, « le déclassement est plutôt stable, voire il régresse pour les écoles de commerce », confirme Jean-François Giret.
Enfin, les études longues sont un gage de « flexibilité », d’après le Think tank VersLeHaut, qui interroge pourtant sa valeur dans son dernier rapport.
La norme du master est aussi sa limite
S’il protège, le master ne garantit plus l’effet d’ascenseur social, d’après VersLeHaut. Il pâtit aujourd’hui d’être devenu la norme : le nombre d’étudiants a doublé, depuis 2008, mais pas celui des offres d’emplois qualifiés. “Le faible retour sur investissement des études et du travail renforce aussi les inégalités, car les jeunes diplômés issus de milieux favorisés pourront plus facilement contourner ces obstacles, par le biais de réseaux ou de formations complémentaires”, ajoute le rapport.
La popularité du parcours licence-master a aussi classé les cursus professionnels comme des voies de relégation. « Cette « course aux diplômes » […] continue de répartir des générations d’élèves en « gagnants » et en « perdants » du système : ceux qui savent, et ceux qui font », regrette VersLeHaut, qui invite à « sortir de l’injonction au diplôme » et à « réhabiliter les voies professionnelles ».
Face à la diversité des profils d’étudiants à l’université, l’ancien président de l’université Paris-Dauphine, Laurent Batsch, imagine un modèle plus professionnalisant. Il attend « une volonté politique de développer une licence des métiers autonome, qui déboucherait sur des emplois de cadres intermédiaires ».
Un système éducatif éloigné des besoins des entreprises
80 % des chefs d’entreprise estiment que le système éducatif français est inadapté au monde du travail, selon un autre rapport de VersLeHaut. « Les entreprises n’ont pas forcément besoin de jeunes sortis de masters, parfois trop généralistes, mais de profils formés à des compétences ciblées », confirme Véronique Blanc, déléguée régionale académique adjointe à la formation en Île-de-France. C’est notamment le cas du secteur du numérique, qui évolue rapidement.
Il ne faut donc pas négliger des formations reconnues par le ministère du Travail. Les titres RNCP qu’il certifie « se créent et se détruisent rapidement et permettent de s’adapter aux besoins du marché du travail », explique Jean-Marc Petit, délégué général de Renasup (interview à lire ici)
En outre, les secteurs qui recrutent aujourd’hui n’auront pas besoin que de cadres. Selon France Stratégies, d’ici 2030, les secteurs du bâtiment et de la santé seront très touchés par les départs à la retraite. Les métiers d’avenir ne sont pas nécessairement futuristes.
VersLeHaut observe les « prémices d’une redéfinition des stratégies de recrutement », qui valorisent l’adaptabilité. « Les entreprises ne peuvent plus limiter leurs recrutements aux candidats « prêts à l’emploi » : il s’agit dorénavant de former les jeunes à des métiers en croissance et de favoriser les transitions professionnelles », à travers la formation continue, ajoute le rapport.
Vigilance sur les formations lucratives
L’offre de formations professionnalisantes a évolué avec l’apparition des bachelors ou des mastères. Mais VersLeHaut met en garde : « la diversité des titres et des formations fragilise le cadre national de reconnaissance des diplômes », dans lequel les formations non-homologuées sont noyées. « La répression des fraudes souligne des dérives préoccupantes : 5 à 15 % des recettes des nouvelles écoles seraient consacrées à un marketing agressif qui cible les jeunes issus de milieux populaires », ajoute le Think tank.
Se renseigner sur la formation est donc primordial, par exemple auprès d’anciens élèves. Le site web de l’établissement doit également indiquer si la formation est reconnue par le ministère du travail par un titre RNCP, et si elle dispose de certifications, comme le label Qualiopi.
La clé : l’orientation
Déçus de leurs choix, 36 % des jeunes diplômés en 2017 ont envisagé une réorientation professionnelle durant les six premières années de leur vie active, et 24 % ont effectivement engagé des démarches dans ce sens, selon une autre étude du Céreq. Jean-François Giret explique ces chiffres significatifs par plusieurs facteurs : « Il y a une histoire de sens au travail qui est assez claire, mais aussi une déception d’un travail qui n’est pas satisfaisant ou de leur difficulté de trouver de l’emploi dans une filière donnée. »
Qu’il soit long ou court, il faut avant tout trouver le parcours le plus adapté au projet de son enfant. « Quand on est parent, on projette parfois des attentes sur son enfant. Il faut lui laisser de la marge, tout en l’aidant à se poser les bonnes questions », plaide Véronique Blanc.