Serge Tisseron, psychiatre et membre de l'académie des technologies
Serge Tisseron, psychiatre et membre de l'académie des technologies | © Eres

Accroche
Inutile de se désintéresser des écrans ou, pire, de les mépriser. Les parents doivent au contraire être attentifs aux nouvelles pratiques de leurs enfants, à la maison comme à l’école. Interview de Serge Tisseron, psychiatre et membre de l'académie des technologies.

Qu’est-ce que le numérique a bouleversé en famille et dans la société ?

Le numérique a tout changé. Grâce à Internet, les enfants et les adolescents peuvent acquérir des connaissances pointues dans tel ou tel domaine que leurs parents ne maîtrisent pas. La transmission n’est plus verticale, mais horizontale. Les liens sociaux s’organisent moins par proximité physique, et plutôt par le fait de partager des centres d’intérêt communs.

Ce qui n’empêche pas les parents de partager leurs centres d’intérêt avec leurs enfants, mais il est important aussi qu’ils se montrent curieux des leurs. Les jeux vidéo, les séries télévisées... Ce n’est pas seulement l’expression d’une culture jeune, c’est déjà la culture de demain. Ne restons pas enfermés dans une seule forme de culture. Les parents qui montrent de l’indifférence aux pratiques numériques de leurs enfants leur disent en substance qu’ils méprisent ce qu’ils font. Ce que l’enfant peut traduire comme du mépris à son égard.

Et à l’école ?

Avant 6 ans, le numérique n’a rien à faire à l’école, sauf pour compenser certains handicaps sensori-moteurs qui ne peuvent pas l’être autrement. Ces premières années, mieux vaut privilégier en classe d’autres activités de relation au monde, par le corps, la médiation, les activités en groupe...En revanche, dès le CP, une initiation au fonctionnement du numérique est possible, puis à 7-9 ans aux réseaux sociaux et à la protection des données personnelles, les siennes et celles de ses parents.

En CM2, apprendre l’économie du numérique, les pièges des fake news et de l’info en continu... Les parents ont souvent l’impression à tort que leurs enfants vont faire à l’école les mêmes activités numériques que celles qu’ils pratiquent à la maison. Alors que l’école propose un numérique encadré. Mais elle devrait communiquer davantage avec les familles sur ce sujet.

Le numérique en classe, ce sont aussi des logiciels qui ne sanctionnent pas et ne jugent pas, qui sont adaptés aux difficultés de chacun, sous forme de quiz ou d’exercices que chaque élève réalise à son rythme et dans l’ordre qui lui convient. C’est une relation déculpabilisée à l’apprentissage, et qui peut augmenter la motivation de certains élèves.

Les jeunes se portent-ils bien dans un univers dominé par les écrans ?

Le rapport 2018 de l’Unicef montre que la majorité des adolescents sur la planète ont un très bon usage de leur téléphone mobile, y compris en Europe. Ni trop, ni pas assez. Plutôt créatif. Deux catégories de jeunes ont un usage problématique, voire pathologique, du téléphone portable.

Les enfants en souffrance, victimes de harcèlement, de traumatismes familiaux, de maltraitances... Et les enfants qui grandissent dans un milieu défavorisé et qui ne sont pas suffisamment accompagnés par les adultes dans leur découverte du numérique. Ces enfants appellent une vigilance particulière.

Quel est le rôle des parents ? Comment peuvent-ils s’affirmer face aux écrans ?

Les parents doivent être disponibles aux attentes de leurs enfants. Dès leur plus jeune âge, il est important de parler avec eux de ce qu’ils voient sur les écrans. Petit ours brun, l’âne Trotro... Ils prendront l’habitude de raconter ce qu’ils ont vu, de dire leurs émotions devant les images.Autant d’occasions de construire des phrases et d’apprendre à raconter, c’est-à-dire d’acquérir une compétence narrative.

À l’adolescence, les parents doivent être curieux et attentifs sans être intrusifs. Souvenez-vous de votre adolescence, vous aussi vous cachiez des choses à vos parents ! Vos adolescents ont le droit d’avoir une vie privée. Ils ne sont pas votre propriété. Privilégiez les moments d’échanges. Le repas du soir sans tablette, ni télévision ni télé- phones portables... Un moment essentiel à institutionnaliser.

La règle du 3-6-9-12

AVANT 3 ANS l’enfant a besoin de découvrir avec ses parents ses sensorialités et ses repères. Jouez, parlez et arrêtez la télé.

  • Pas d’écran.

DE 3 À 6 ANS l’enfant a besoin de découvrir ses dons sensoriels et manuels.

  • Limitez les écrans, partagez-les, parlez-en en famille.

DE 6 À 9 ANS l’enfant a besoin de découvrir les règles du jeu social.

  • Créez avec les écrans, expliquez-lui Internet.

DE 9 À 12 ANS l’enfant a besoin d’explorer la complexité du monde. 

  • Apprenez-lui à se protéger et à protéger ses échanges.

APRÈS 12 ANS l’adolescent s’affranchit de plus en plus des repères familiaux.

  • Restez disponibles, il a encore besoin de ses parents. 

Pour en savoir + : www.3-6-9-12.org

Serge Tisseron, psychiatre et membre de l'académie des technologies, répond aux questions des parents sur les écrans et les enfants

Serge Tisseron, psychiatre et membre de l'académie des technologies, répond aux questions des parents sur les écrans et les enfants