
En quoi TikTok est-il dangereux ?
Les vidéos qui défilent à l’infini, basées sur un algorithme qui analyse les comportements des utilisateurs des réseaux sociaux, a été inventé sur TikTok, en 2017. Ses concurrents – Instagram avec ses « Reels » ou YouTube et ses « Shorts » – s’en sont ensuite inspiré. L’idée, est de capter l’attention des utilisateurs pour leur faire consommer de la publicité. Avec une modération très limitée des contenus, TikTok « pousse au pire, isole, enferme, détruit », a tranché un rapport de l’Assemblée nationale qui a enquêté sur les effets psychologiques du réseau social sur les mineurs.
Cette commission d’enquête de l’Assemblée nationale a été lancée dans un contexte où le géant chinois a été assigné en justice depuis novembre 2024 par onze familles françaises, dont six ont été endeuillées par la perte de leur enfant. Elles accusent TikTok d’en être responsable. Voici les conclusions d’un rapport choc sur les risques de la plateforme pour la santé mentale des mineurs.
Suicide et automutilation
Sur TikTok, des « ‘influenceurs’ en scarification », comme les nomme le rapport, « dévoilent, de façon détaillée, leurs techniques et astuces d’automutilation ». La journaliste Elisa Jadot s’est créé un faux profil d’adolescente sur la plateforme pour la réalisation de son documentaire Emprise numérique, 5 femmes contre les Big 5. Elle a raconté son expérience à la commission d’enquête, lors de son audition : « J’y ai appris les meilleures façons de me scarifier, avec la lame de mon taille-crayon, un stylo et des glaçons […] on m’a expliqué comment cacher mes blessures à mes parents ».
Delphine Dapui l’a réellement vécu. Sur le compte TikTok de sa fille, qui s’est suicidée, elle a trouvé des vidéos conseillant sa fille pour « se faire du mal sans que cela se voie ». « Nous étions sidérés. Nous n’avons pas compris ce qui se passait. On s’est dit : ‘C’est quoi, TikTok ? C’est ça qu’elle regardait ?’ ». Sur TikTok, des vidéos banalisent le suicide, voire l’érigent en échappatoire. « […] elle avait republié, la veille, un post montrant une jeune fille toute souriante, avec des mots écrits qui disaient ceci : « La nuit porte conseil. Moi, elle m’a conseillé de prendre un tabouret et une corde. », a-t-elle raconté à la commission d’enquête.
Idéalisation de l’anorexie
Parallèlement à la commission d’enquête, 31 000 citoyens se sont réunis en consultation citoyenne pour témoigner. Certains ont relaté des messages, croisés sur TikTok : “si ton estomac gargouille, il te remercie”, ou encore “si tu as faim, bois de l’eau”, “Si tu ressens la faim, c’est que tu es sur la bonne voie”. En glorifiant la maigreur, des contenus sur TikTok susciteraient des troubles du comportement alimentaire.
En juin 2025, l’Arcom, l’autorité de régulation de l’audiovisuel et du numérique, a mesuré l’ampleur de ce phénomène et a bloqué le hashtag « SkinnyTok » – « skinny » signifie « maigre », en anglais –, qui centralise ces vidéos. Elle a rapporté qu’en 30 jours, « 5 500 publications, diffusées par 3 000 créateurs différents, comprenaient l’expression SkinnyTok. Ces publications […] ont obtenu 97 millions de vues et 9,5 millions de likes ».
Désinformation médicale et psychologique
Un cercle vicieux s’installe lorsque des jeunes prennent pour argent comptant les paroles de pseudo-professionnels de santé sur TikTok. D’après une enquête du Guardian, relayée dans le rapport, « sur les 100 contenus TikTok les plus visionnés sous le hashtag #mentalhealthtips – astuces de santé mentale –, plus de la moitié contenait de la désinformation, allant parfois jusqu’à conseiller de manger une orange sous la douche pour réduire l’anxiété ».
Exposition à des scènes violentes…
En ne modérant pas suffisamment, TikTok laisse également s’échapper des contenus violents. Un adolescent de 15 ans de la consultation citoyenne a raconté avoir vu « des vidéos mettant en scène de la torture, […] des chutes mortelles », dans le cadre de la participation citoyenne.
Le journaliste pour Capa, Valentin Petit, a découvert des scènes violentes, par hasard, dans des extraits de jeux vidéo, sur TikTok : « en y regardant de plus près, ces jeux étaient des reconstitutions, au détail près, d’attentats djihadistes ou d’extrême droite ayant été commis ». Il a ajouté que ces vidéos de « gaming » cachent aussi « de vraies images déguisées », comme celles de la tuerie homophobe de Pulse en Floride ou de l’attentat raciste de Buffalo, aux Etats-Unis, filmées par les tueurs.
… et à des propos racistes, antisémites, et sexistes
Les jeunes peuvent également tomber sur des contenus racistes et antisémites. La plateforme de signalement du gouvernement français, Pharos, a reçu, en 2024, 1 237 signalements relatifs à des provocations publiques à la haine et à la discrimination et aux injures raciales, ethniques ou religieuses.
Le rapport de l’Assemblée nationale fait également état d’une « prolifération de contenus masculinistes » sur TikTok. Shanley Clemot McLaren, cofondatrice et co-présidente de l’association Stop Fisha, a dénoncé « une romantisation des contenus misogynes et extrémistes, notamment masculinistes, à travers l’utilisation de musiques patriotiques ou guerrières, créant une forme de fictionnalisation attrayante, particulièrement efficace auprès des jeunes garçons ».
Pédocriminalité
Véronique Béchu, directrice de l’Observatoire des violences numérique de l’association e-enfance nous a déjà rappelé le danger de la pédocriminalité sur internet. Selon le rapport, ce danger augmenterait. Il cite une étude de l’Office anti-cybercriminalité (OFAC) : en 2025, les signalements en lien avec des atteintes aux mineurs, représentaient 7,5 % des signalements totaux, contre 3,15 % l’année précédente.
Ce danger n’est pas propre à TikTok. C’est pourquoi la commission d’enquête de l’Assemblée nationale recommande l’interdiction aux moins de 15 ans de tous les réseaux sociaux semblables, comme Instagram, Facebook ou Snapchat.
Un porte-parole de TikTok a dénoncé une « présentation trompeuse » et rejette « catégoriquement » ce rapport. Selon lui, les députés de la commission d’enquête cherchent « à faire de notre entreprise un bouc émissaire face à des enjeux qui concernent l'ensemble du secteur et de la société ».